mercredi 4 août 2010

Lettre ouverte à Jean Bosco Talla Par Pius N. Njawé (Journaliste)

Le Messager / Jeudi 31 décembre 2009

Mon cher Jean-Bosco,

J’aurais pu réagir dès ton interpellation. Mais comme tu le sais certainement, j’étais sur un autre front, à Paris, pour témoigner contre Bolloré Vincent et son groupe, dans un procès idiot –mais ô combien salutaire- qu’ils ont osé intenter contre des confrères de France Inter, pour une émission que j’avais aidé ceux-ci à réaliser sur « l’empire noir »de Bolloré au Cameroun. Etant tombé malade au cours du crochet que j’ai effectué à Bamako pour présenter le livre d’une jeune compatriote sur l’immigration forcée, je n’ai pu regagner le pays que mercredi dernier. Je suis d’ailleurs toujours souffrant et c’est par un sursaut d’orgueil et de solidarité inconditionnelle envers les journalistes victimes du régime Biya que je prends ma plume pour t’adresser ce message en ce 28 décembre 2009, jour où ton sort va être scellé devant le tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif.

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Mais je dois à la vérité de te dire que c’est depuis que j’ai appris ton arrestation par Hilaire Kamga le 15 décembre alors que nous attendions dans la salle des témoins de la 17ème Chambre du tribunal de Paris, que l’idée m’est venue de t’écrire. Entre autre pour te témoigner mon soutien et, surtout, te demander d’être fort et patient, car je savais d’expérience que tu étais désormais fait pour passer Noël et la Saint-Sylvestre au cachot, loin de ta femme et de tes enfants qui ont plus que besoin de toi en cette période où l’on se réjouit en famille et bâtit les projets pour 2010.

Je savais surtout qu’ils ne te lâcheront pas de si tôt, maintenant qu’ils croient avoir trouvé le bon et beau prétexte, que dis-je, l’argument massue pour te mettre « hors d’état de nuire »… à leurs biens mal acquis, à leur gestion à l’emporte-caisse et à leurs pratiques diaboliques et sataniques. Tant ils ont la rancune tenace !

Ne l’as-tu pas senti dans les propos de Jean-Claude Tchuilen au cours de cette émission de Liliane Nyatcha à laquelle nous avons participé tous les deux le 6 décembre sur STV ? N’as-tu pas lu la tartine de Joseph-Anderson Le, le directeur adjoint du Cabinet civil du président de la République, publiée dans notre Pravda nationale et dans le quotidien Le Jour pour préparer l’opinion sinon à accepter, du moins à « comprendre » ton arrestation et tout ce qui pourrait t’arriver? Ils sont comme ça, ces gens-là : quand ils préparent un coup comme celui-ci, ils instrumentalisent les médias et mobilisent leurs agents pour corrompre l’opinion.

As-tu oublié, mon pauvre JBT, que l’atteinte à « l’honneur » de Paul et de Chantoux sont des choses qui fâchent à Etoudi, quand bien même les gens là-bas n’ont aucun sens de l’Honneur ? Quid d’Ebale Angounou, le « petit ami » de Paul Biya ? Sujet tabou par excellence !

Souviens-toi que l’édition du journal Le Messager du 21 juin… 1991 est encore stockée à la SOPECAM, victime d’une saisie sous presse parce qu’elle comportait la toute première interview de ce jeune homme qui y faisait des révélations troublantes sur ses relations avec Paul Biya et les pratiques mystico-exotériques au cœur du régime du Renouveau. Souviens-toi, JBT, de l’encerclement des Editions Saint-François de Benjamin Zébazé, puis de la chasse-poursuite dont j’avais été l’objet, en 1992, lorsque Le Messager Edition avait osé publier un opuscule écrit par Ebale Angounou et intitulé « Paul Biya ou le cauchemar de ma vie ».

Tout cela montre que tu as donné un coup de pied dans la fourmilière en publiant ces extraits sur le pacte secret entre Ahidjo et Biya. Ce faisant, tu n’ignorais pas, mon cher ami, le risque que tu courais, car il ne faut surtout pas spéculer, toi journaliste, sur la déviance comportementale ou les pratiques peu honorant de Biya, quand bien même d’autres auront commis une littérature abondante sur le sujet, sans pour autant être inquiété. Cela me rappelle cet avocat général de la Cour d’appel du Littoral qui disait lors de mon procès en 1998 qu’être un journaliste responsable, « cela signifie que même si le président de la République est malade, vous devez écrire, Monsieur Njawé, qu’il est bien portant ». Quant bien même il serait impotent !!!

Onze ans plus tard, ils remettent ça ! Avec le même scénario, les mêmes méthodes, les mêmes grossièretés dans la violation flagrante de la procédure judiciaire. Et peut-être, la même sévérité dans la sentence. En effet, nous sommes tous accrochés aux lèvres du juge Ibrahima Ba qui devra, au terme de son délibéré, dire si tu es coupable ou non d’outrage au président de la République. Mais tu sais, JBT, que ton sort est d’ores et déjà scellé dès lors que ton chef d’accusation porte sur ce délit d’outrage. Décortiquons-le ensemble, si tu le veux, cela pourra aider l’opinion à bien comprendre de quoi il est question.

Une manipulation politico judiciaire

Le délit d’outrage est une infraction du domaine du contentieux pénal de la presse au Cameroun. L’action pénale en ce qui concerne l’outrage, tout comme d’ailleurs les autres infractions commises par voie de presse, pour être déclenchée, doit s’appuyer sur quatre éléments : légal, moral, matériel, et la publicité. Il faut en effet que la faute soit prévue et réprimée par le Code pénal, que celui qui a posé l’acte ait eu l’intention de nuire, qu’il y ait des éléments tangibles exprimant la faute, et qu’il y ait eu diffusion sur un support de communication de masse.

Dans la nomenclature des infractions commises par voie de presse, l’outrage relève de la protection accordée aux personnes publiques par la loi. Il s’agit d’une infraction essentiellement floue, en ce sens qu’elle peut être à la fois une diffamation, une injure, ou une menace qui sont déjà des infractions autonomes, c’est-à-dire ayant leurs propres éléments constitutifs. L’outrage est donc un fourre-tout inventé pour embrouiller les prévenus et brouiller l’examen profond des autres infractions, surtout quand on veut à tout prix écrouer un journaliste.

Ceux qui ont l’avantage de punir se simplifient généralement la tâche en qualifiant d’outrage des infractions de presse, surtout quand ça concerne le président de la République. Selon Eyike-Vieux et Youssoufa Boukar, magistrats ayant commis un essai sur Le contentieux pénal de la presse et de la communication audiovisuelle au Cameroun (2004):

« l’outrage au président de la République est toute expression offensante, tout terme de mépris, toute imputation diffamatoire qui, à l’occasion de l’exercice de la magistrature de l’Etat ou en ce qui concerne la vie privée du président de la République, sont de nature à atteindre ce dernier dans son honneur ou dans sa dignité. » Rien de plus flou !

Pis,
contrairement aux autres infractions où le journaliste peut se défendre et gagner le procès en apportant des preuves justifiant ce qu’il a publié, l’article 153, al. 3 du Code pénal ne donne pas l’opportunité au journaliste prévenu d’établir la vérité des faits imputés au président de la République ou allégués sur sa personne au moyen de preuves qu’il a à sa disposition. Ainsi, dès qu’un journaliste est inculpé d’outrage au président, il peut à peu près être sûr de sa condamnation – même si on en ignore la nature. La seule issue qui lui reste c’est, comme l’affirment Eyike-Vieux et Boukar, d’invoquer sa bonne foi pour espérer une réduction de sa peine ou une miraculeuse libération.

Si je ne me trompe, au regard de ce qui m’a été rapporté sur ce contentieux, tu es, JBT, dans ce cas précis. Au regard de la jurisprudence camerounaise en matière d’outrage au président de la République, le prévenu que tu es est déjà condamné. A moins que les magistrats en charge de ton dossier fassent preuve d’équilibre et décident aujourd’hui de faire avancer le droit… Ce ne serait pas extraordinaire, puisque Eyike-Vieux et Youssoufa Boukar, magistrats talentueux, ont eu le courage de prendre position sur cette impossibilité pour le journaliste de prouver ce qu’il dit du président.

« La prohibition de la preuve des faits diffamatoires, affirment-ils, est déplorable en ce sens que le président de la République est un homme public. En tant que tel, et pour reprendre De Serres, sa vie publique appartient à tous. Dans ces conditions, c’est le droit et souvent le devoir de chacun de ses concitoyens de lui reprocher publiquement ses torts ou ses fautes publiques. Cet avis est également partagé par Roger Collard qui estime qu’il ‘est de l’intérêt général qu’on puisse dire et prouver ce qu’un homme a fait avec un caractère public’. » Et comme il est bien difficile, voire impossible dans certains cas, de dissocier la vie publique et la vie privée du président de la République, on comprend que les choses doivent être compliquées.

Ainsi, le délit d’outrage qui t’est reproché, JBT, est une technique politico-judiciaire qui a au moins trois effets au bénéfice du pouvoir de Yaoundé : t’empêcher de te défendre, brouiller l’examen profond de ce dont tu es réellement accusé, embrouiller la compréhension du public, … pour finalement te condamner en créant un certain unanimisme au sein de l’opinion. On peut alors formuler l’hypothèse d’une volonté de faire taire un homme qui n’a pas sa langue dans la poche et dont le journal,Germinal, dérange désormais la tranquillité de ceux qui pillent impunément la République.

Sans oublier que ta participation dans la collecte des éléments ayant servi à la rédaction du rapport du CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement – terre solidaire) sur les biens mal acquis de Biya (entre autre), n’avait pas été du tout appréciée par le sérail.

Les arguments, cependant, ne manquent pas au juge pour te disculper, et le subterfuge peut être envisagé à travers des questions simples : Jean-Bosco Talla dit qu’il n’a cité que les passages d’un livre, un support médiatique qui existe et qui circule aussi bien dans les lieux publics (libraires et bibliothèques) que dans les milieux privés. A l’époque, l’auteur du livre avait-il été poursuivi pour ce même délit ? Peut-on raisonnablement poursuivre JBT et le condamner en laissant tous ceux qui ont déjà cité ce livre ?

Il faut espérer que le juge Ibrahima Ba se mettra au-dessus des ambitions carriéristes des Yebga Matip et autres Thierry Ela (de regretté mémoire), pour créer une jurisprudence forte qui contribuera à libérer le journalisme d’un délit politique qui ne dit pas son nom. Ce faisant, il aura inscrit son nom en lettre d’or dans les annales de la République. Mais s’il décidait de te maintenir derrière les barreaux comme cela risque d’être hélas le cas, je te suggère fortement de profiter de ces moments de solitude (que nous trouvons rarement dans l’exercice quotidien de notre profession), pour approfondir ta foi.

Je te recommande d’ailleurs ce passage biblique :

« J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas dérobé mon visage aux ignominies et aux crachats. Mais le Seigneur l’Eternel m’a secouru. C’est pourquoi je n’ai point été déshonoré, c’est pourquoi j’ai rendu mon visage semblable à un caillou, sachant que je ne serai point confondu » (Esaïe 50, verset 6-7).

Enfin et surtout, ne jamais te sentir prisonnier ; parce qu’on peut être derrières les barreaux sans être prisonnier, de même qu’on peut se croire libre et trôner même à la tête d’un pays tout en étant prisonnier. Et par-dessus tout : prudence, prudence encore, prudent toujours!

Pour échapper aux empoisonnements et à trois tentatives d’assassinat, j’avais dû m’attacher les services de « garde-corps » recrutés parmi mes « complices » du « down blow ». Voilà, camarade, la recette magique grâce à laquelle j’avais pu survivre à dix mois de détention à la prison centrale de New-Bell du 26 décembre 1997 au 12 octobre 1998. Sans jamais me sentir prisonnier !

Courage, JBT, on est ensemble !

Source: http://www.cameroun-online.com/actualite,actu-13223.html

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